Une pépinière d’innovations!
La Pépinière Boucher, de Saint-Ambroise, au Saguenay-Lac-Saint-Jean, est l’une des plus performantes et des plus innovantes au Québec, ce qui lui a permis de durer alors que plusieurs pépinières forestières ont cessé leurs opérations au fil des années.
Alexandre D’Astous
Autour de 1985, il y avait 36 pépinières forestières au Québec. Aujourd’hui, elles ne sont plus que 12. « Au cours des années 2000, nous avons formé un plan conjoint pour la vente de nos plants parce que nous étions rendus seulement 21 producteurs et que le marché était très dur. Nous étions en appels d’offres. Le plan conjoint a été formé pour travailler sous l’égide de la Régie des marchés agricoles du Québec avec un office de producteurs. Cela nous donnait la possibilité de discuter et négocier nos contrats avec le ministère et de prendre des ententes de gré à gré plutôt que d’aller en appel d’offres et de négocier avec le ministère les différents contrats. Ce fut un grand virage pour l’Office des producteurs de plants forestiers du Québec », raconte le PDG de la Pépinière Boucher et président de l’Office, STÉPHANE BOUCHER.
M. Boucher souligne que le marché des plants forestiers n’est pas facile. Le ministère des Ressources naturelles et des Forêts est le seul client des pépinières forestières. « Nous avons perdu beaucoup de joueurs en cours de route. Les producteurs qui restent sont allés chercher beaucoup de volumes. C’est ce qui nous a aidés à augmenter notre production. Lorsqu’on veut opérer des innovations en matière de robotisation et d’automatisation, il y a des volumes minimaux dont il faut s’assurer ».
Croissance de la production
En 1985, la Pépinière Boucher produisait 4 millions de plants et aujourd’hui, selon la taille des plants demandés par le ministère, la production joue entre 15 et 20 millions de plants par année. « Le fait d’aller chercher ses volumes supplémentaires nous a permis de commencer à penser à mécaniser nos opérations. Dès 2010, nous nous sommes penchés sur la question. Nous avons fait des essais de production en minicellules. Une fois que nous avons appris à produire en minicellules, nous étions rendus à l’étape d’ajouter un robot. Nous avons commencé avec un vieux robot usagé pour nous faire la main. Il faut prendre le temps d’apprendre à travailler avec ça », indique M. Boucher.
Présentement, l’entreprise travaille avec deux robots qui transplantent. « Nous avons deux lignes de semence conventionnelle, une de technologie italienne et une autre de technologie suédoise. Nous sommes allés sur place dans chacun des pays pour voir les fabricants et leur donner nos spécifications parce que les contenants du Québec ne sont pas les mêmes que ceux construits en Europe ou ailleurs dans le monde. Nos plants sont plus gros que ceux qui se font ailleurs. Après plusieurs mois d’essais, nous avons maintenant des lignes très performantes. Chacune des lignes va pouvoir produire plus de 500 000 plants chacune par jour. » La Pépinière Boucher emploie 80 personnes en haute saison, dont des travailleurs étrangers.
Mégaentrepôts
Une autre innovation de la Pépinière Boucher et qui est aussi utilisée par d’autres pépinières au Québec, c’est l’aménagement de mégaentrepôts qui permettent d’ensemencer plus tôt à partir de la fin-mars et du début avril, même si le terrain n’est pas prêt. « Nous mettons tous nos semis dans des entrepôts réfrigérés à 3 degrés. Lorsque le beau temps arrive, nous sommes prêts à placer toutes les semences directement en production, ce qui nous fait sauver beaucoup de temps. »
Auparavant, il fallait attendre le beau temps pour semer et cela faisait en sorte que les ensemencements se terminaient à la fin juin. « Ce sont des investissements qui nous ont permis de devancer nos opérations et de diminuer les pointes de travail à faire au printemps où tout est à faire dans une pépinière forestière. Il faut préparer les plants pour les livraisons, préparer les ensemencements, déshiverner les plants qui ont passé l’hiver. Nous avons une charge de travail très élevée le printemps. »
Serres chauffées
Autre nouveauté, la Pépinière Boucher a créé des serres chauffées qui lui permettent de semer des plateaux multicellules à partir d’avril. « Il y a différents types de grosseurs de plateaux pour les petits plants qui sont transplantés à l’aide de robots. Avec ce système, je peux planter en avril et transplanter en tunnel en mai. Je gagne ainsi un an de production. Nous sommes en train de transplanter des plants qui s’en vont en tunnel. Ils passeront l’hiver dehors et vont pouvoir partir l’été prochain. Au lieu de les livrer en 2025, on va les livrer en 2024 », explique M. Boucher.
Le fait de pouvoir livrer les plants plus rapidement offre une garantie d’approvisionnement supplémentaire au ministère. « Un hiver de moins, ce sont des pertes de moins. C’est bon pour toute l’industrie ». Les pépinières du Québec sont diversifiées dans leur mode de production. « Chacun a ses recettes et chacun à son climat. Mon collègue à Trois-Rivières n’a pas le même climat que moi. L’Office a organisé des voyages en Colombie-Britannique et en Europe pour que nous puissions aller chercher de l’expertise ailleurs et on essaie de l’adapter à nos réalités et à nos besoins », affirme M. Boucher.
Congélation des plants
« Nous sommes en train de mettre en place la congélation des plants. C’est un virage qui est analysé, regardé et proposé au ministère depuis plusieurs années. Des études ont été réalisées et tout indique que c’est une bonne méthode à appliquer au Québec. Cela se fait ailleurs. Ici, ça fait trois ans que je congèle des plants. À l’automne, nous irons de l’avant avec des volumes assez considérables de l’ordre de millions de plants. Présentement, je suis le seul à me lancer dans la congélation des plants, mais je suis suivi de près par des collègues », mentionne M. Boucher qui précise que d’autres pépinières font la mise en sacs de plants, ce qui leur permet de les livrer en dormance en mai ou juin, mais ça ne sauve pas l’hiver.
M. Boucher souligne qu’en Colombie-Britannique, tous les plants sont ramassés à l’automne, placés dans des boîtes et mis au congélateur. « Cela permet de stabiliser le produit. Il n’y a donc plus de problème de pertes. Cela permet également au ministère et aux reboiseurs de savoir exactement quel produit ils ont en main. Cette méthode permet aussi des économies de transport parce que les plants sont mis en boîte et empilés jusqu’au plafond du camion. On peut mettre deux fois plus de plants dans un camion qu’avec la méthode de production traditionnelle. Les plants congelés se manipulent plus facilement. Tu peux les décharger les mettre sur le sol en forêt une journée pour les faire décongeler et après, ils sont prêts pour le reboisement. Comme le plant est en dormance, il va s’adapter plus facilement à son site. Il y a donc beaucoup moins de pertes, selon des suivis faits par le ministère. »
Reboiser dans des endroits non accessibles
La congélation permet également de profiter de l’hiver pour amener des plants dans des endroits non accessibles en été. « On peut amener des plants en février. Ainsi, ils vont rester en dormance jusqu’au printemps. Les reboiseurs peuvent s’y rendre en VTT ou en hélicoptère et procéder au reboisement des plants qui sont déjà sur place », indique M. Boucher.
La congélation permet d’étirer la saison de production. « Pour mettre les plants en boîtes, il faut attendre qu’ils aient subi du froid. Il faut attendre à la fin octobre pour que les plants soient bien endurcis naturellement. Ils ont vécu des heures de gel, provoquant un arrêt de la croissance des racines et le retrait de la sève. Il n’y a plus d’eau dans le plant qui s’est placé en mode d’hiver ».
En tant que président de l’Office des Producteurs de Plants forestiers du Québec, Stéphane Boucher signale que les garanties d’approvisionnement sont cruciales pour permettre aux pépinières de poursuivre et d’accentuer leurs projets de modernisation qui sont nécessaires pour assurer leur avenir.
« Plus on va avoir de volume, plus ça va être facile de se mécaniser. Nous allons ainsi avoir un retour sur l’investissement et pouvoir offrir des prix plus bas qu’en utilisant de la main-d’œuvre dont les coûts explosent. Même pour travailleurs étrangers, c’est très dispendieux », ajoute-t-il.
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