Les adieux d’un passionné
Après 21 ans à la barre de la Fédération québécoise des coopératives forestières (FQCF) au cours desquelles il a été de tous les combats, JOCELYN LESSARD tirera sa révérence le 17 juillet prochain. Une occasion unique d’échanger avec lui sur l’évolution du secteur forestier au cours de cette période. À l’image de l’homme, le tableau qui s’en dégage est franc, lucide et passionné!
Le nouveau directeur général a devant lui tout un défi quand il se joint en 1999 à la Conférence des coopératives forestières du Québec. À l’époque, l’équipe d’employés de celui qui a, notamment, œuvré pour SOCODEVI en Côte-d’Ivoire et à l’Agence de mise en valeur de la forêt privée de l’Estrie, est composée en tout et pour tout de deux secrétaires. De plus, l’ensemble du secteur forestier est sous le choc après la diffusion quelques mois plus tôt du documentaire l’Erreur boréale.
«De par mes expériences précédentes, j’avais un bon bagage coopératif et je connaissais très bien la forêt privée, mais pas du tout la forêt publique. Je dois une fière chandelle au président GÉRALD BEAULIEU qui m’a grandement aidé à assimiler cette nouvelle réalité.»
À l’opposé, M. Beaulieu se rappelle plutôt à quel point sa nouvelle recrue n’a pas mis de temps à s’imposer. Quelques semaines seulement après son arrivée en poste, se tient un lac-à-l’épaule à la Seigneurie du Triton, en Mauricie. «Il a tout de suite impressionné l’ensemble du conseil d’administration grâce à son travail acharné et à son esprit de synthèse. Rapidement, on s’est doté d’une planification stratégique qui nous a permis de bien positionner l’organisation pour les années à venir.»
Vers la Fédération
Pour le nouveau directeur général, le plan de match s’annonçait pour le moins chargé alors que ce n’est rien de moins qu’un changement de culture qui était visé. Il s’agissait, en effet, de passer d’une organisation centrée exclusivement sur la représentation politique à une organisation devant offrir des services et supporter concrètement le développement de ses membres.
C’est ainsi qu’en 2005, à la suite de l’adoption d’un projet de loi privé, la Conférence des coopératives forestières du Québec devient la Fédération québécoise des coopératives forestières. Président de 2003 à 2006, STEVE ST-GELAIS se souvient des appréhensions des coopératives qui craignaient l’ingérence de la Fédération. «L’opération a été l’occasion d’une très large réflexion. Jocelyn a vu personnellement à ce que tous les points de vue soient entendus. Il a su faire ressortir comment nous allions tous en ressortir plus forts. On avait vraiment la bonne personne pour piloter un exercice de cette envergure.»
Parallèlement, le secteur forestier vit de profondes remises en question. La Commission Coulombe, le Sommet sur l’avenir de la forêt de 2007, puis le Livre vert de CLAUDE BÉCHARD sont autant de moments marquants qui mènent à l’adoption du nouveau régime forestier en 2010.
Dix ans plus tard, M. Lessard refuse de dire que tout est sombre, mais il s’avoue inquiet pour l’avenir de la foresterie si un processus de révision en profondeur du régime n’est pas entrepris.
«J’en ai écrit des mémoires qui disaient tous plus ou moins la même chose : faites-nous confiance! Confiez-nous des responsabilités pour créer de la richesse en forêt et en partager les bénéfices, plutôt que de nous enfermer dans des petites boîtes où nous pouvons à peine survivre.»
Avancées
Sa nature très modeste fait en sorte qu’il faut le travailler au corps et le questionner sans relâche pour lui faire dire que ses actions ont permis d’aller chercher des gains pour le bénéfice des coopératives et de l’ensemble du secteur forestier.
C’est le cas, par exemple, en ce qui concerne les travaux sylvicoles. Au moment de la refonte du régime, le gouvernement a longtemps jonglé avec l’idée d’octroyer 100 % des contrats par appels d’offres. Les interventions de M. Lessard et d’autres partenaires ont conduit à la création des ententes de réalisation de traitements sylvicoles (ERTS) en vertu desquelles 75 % des contrats sont réservés à des entreprises collectives dont font partie les coopératives forestières.
«Évidemment, il faut se battre pour négocier de bons taux pour les travaux, chaque année, mais on a quand même sauvé la filière et ça, on le doit en bonne partie à Jocelyn», fait valoir CLAUDE DUPUIS, président de la FQCF de 2009 à 2014.
Celui qui, loin de prendre sa retraite, s’apprête à relever un nouveau défi pour SOCODEVI dans un projet agroforestier au Maroc, souligne également les progrès réalisés dans la formation des ouvriers forestiers. Au départ, la Conférence des coopératives forestières avait développé un projet exclusif financé par le Fonds de lutte contre la pauvreté. Par la suite, les groupements forestiers se sont joints, de même que l’Association des entrepreneurs en travaux sylvicoles, alors que le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs et Emploi Québec ont pris le relais. «On a maintenant un levier indispensable pour développer les compétences dans le réseau.»
De même, il suffit d’évoquer le nom de FORAC pour que le directeur sortant de la FQCF s’anime. «Des jeunes brillants qui viennent de partout à travers le monde pour réfléchir sur la façon dont on fait la foresterie ici. En termes d’innovations, l’apport de FORAC est inestimable.» Il cite en exemple, notamment, les tableaux de bord développés pour suivre la production des entrepreneurs forestiers.
Une Fédération crédible
Il refusera de s’en vanter, mais la FQCF a grandement progressé sous sa férule. L’équipe de la permanence compte maintenant dix employés et offre des services très appréciés des membres, que ce soit en ressources humaines, gestion, gouvernance, formation, etc. «Je suis très chanceux d’avoir pu compter sur le soutien d’un personnel dévoué et compétent. Dans bien des cas, ce sont des gens qui ont développé une expertise qui n’existe nulle part ailleurs. Ce sont des artistes», s’enthousiasme encore M. Lessard.
Au fil des ans, la Fédération et les coopératives forestières ont aussi gagné en notoriété et crédibilité. Pour ÉRIC MARTEL, directeur de la gestion des programmes de services aux membres au Conseil québécois de la coopération et de la mutualité (CQCM), cela s’avère vrai non seulement dans le secteur forestier, mais aussi au sein «du mouvement coopératif et l’ensemble de la société québécoise. Pour moi, il n’y a pas de doute qu’on le doit à Jocelyn», déclare-t-il.
Forestier en chef de 2010 à 2015 et acteur bien connu de la foresterie au Québec, GERARD SZARAZabonde dans le même sens. Pour lui, son succès repose sur une approche unique mêlée de franchise et de collaboration. «Jocelyn, c’est quelqu’un qui a une vision très large et qui a toujours su trouver l’équilibre entre les prérogatives de l’industrie, mais aussi les besoins des communautés et une réelle préoccupation environnementale.»
«Nous n’étions pas toujours d’accord, mais ses positions étaient claires et honnêtes», ajoute GUY CHEVRETTE, président du Conseil de l’industrie forestière de 2005 à 2010. «C’est un gars compétent qui défendait avec conviction ses membres des coopératives. À l’époque de la crise forestière, il savait que si on voulait s’en sortir, il fallait que ça se fasse ensemble.»
M. Lessard, lui, juge surtout avoir été très chanceux d’avoir pu bénéficier tout au long de son mandat de l’appui des membres des conseils d’administration et des neuf présidents, des personnes qui ont «toujours su faire passer le réseau en priorité».
Malgré un travail acharné et des réalisations d’importance, on sent toutefois encore chez lui une certaine insatisfaction, comme quoi il aurait voulu en faire encore plus. «Un esprit s’est développé au sein des membres de la Fédération. Les gens se connaissent et s’apprécient. Il serait toutefois possible d’aller tellement plus loin.»
Environnement
Enfin, M. Lessard a fait preuve tout au long de son mandat d’une grande sensibilité face aux enjeux environnementaux. Il s’impatiente d’ailleurs de constater que certains acteurs du secteur voient encore l’environnement comme une contrainte, quelque chose qui empêche de travailler. «La biodiversité et les aires protégées, on ne fait pas ça pour les maringouins, on fait ça pour protéger notre milieu de vie à nous, les humains.»
Cela ne l’empêche pas de dénoncer l’attitude de certains groupes écologistes. «On a développé au Québec un riche réseau d’aires protégées. À la place des félicitations que nous aurions pu espérer, ce qu’on continue d’entendre, c’est tassez-vous on ne veut plus que vous travailliez. Mettez la forêt sous une cloche de verre. C’est décevant! Surtout que la forêt peut jouer un rôle majeur pour lutter contre les gaz à effet de serre.»
Trouver la bonne posture
Malgré son départ imminent, il continue de réfléchir à la question. Et si on trouvait ce qu’il appelle la «bonne posture» face au développement durable? Alors, la question environnementale deviendrait «un outil de persuasion faisant en sorte que davantage de jeunes choisiraient les métiers de la forêt». Un passionné, vous dites?
Le nouveau directeur général a devant lui tout un défi quand il se joint en 1999 à la Conférence des coopératives forestières du Québec. À l’époque, l’équipe d’employés de celui qui a, notamment, œuvré pour SOCODEVI en Côte-d’Ivoire et à l’Agence de mise en valeur de la forêt privée de l’Estrie, est composée en tout et pour tout de deux secrétaires. De plus, l’ensemble du secteur forestier est sous le choc après la diffusion quelques mois plus tôt du documentaire l’Erreur boréale.
«De par mes expériences précédentes, j’avais un bon bagage coopératif et je connaissais très bien la forêt privée, mais pas du tout la forêt publique. Je dois une fière chandelle au président GÉRALD BEAULIEU qui m’a grandement aidé à assimiler cette nouvelle réalité.»
À l’opposé, M. Beaulieu se rappelle plutôt à quel point sa nouvelle recrue n’a pas mis de temps à s’imposer. Quelques semaines seulement après son arrivée en poste, se tient un lac-à-l’épaule à la Seigneurie du Triton, en Mauricie. «Il a tout de suite impressionné l’ensemble du conseil d’administration grâce à son travail acharné et à son esprit de synthèse. Rapidement, on s’est doté d’une planification stratégique qui nous a permis de bien positionner l’organisation pour les années à venir.»
Vers la Fédération
Pour le nouveau directeur général, le plan de match s’annonçait pour le moins chargé alors que ce n’est rien de moins qu’un changement de culture qui était visé. Il s’agissait, en effet, de passer d’une organisation centrée exclusivement sur la représentation politique à une organisation devant offrir des services et supporter concrètement le développement de ses membres.
C’est ainsi qu’en 2005, à la suite de l’adoption d’un projet de loi privé, la Conférence des coopératives forestières du Québec devient la Fédération québécoise des coopératives forestières. Président de 2003 à 2006, STEVE ST-GELAIS se souvient des appréhensions des coopératives qui craignaient l’ingérence de la Fédération. «L’opération a été l’occasion d’une très large réflexion. Jocelyn a vu personnellement à ce que tous les points de vue soient entendus. Il a su faire ressortir comment nous allions tous en ressortir plus forts. On avait vraiment la bonne personne pour piloter un exercice de cette envergure.»
Parallèlement, le secteur forestier vit de profondes remises en question. La Commission Coulombe, le Sommet sur l’avenir de la forêt de 2007, puis le Livre vert de CLAUDE BÉCHARD sont autant de moments marquants qui mènent à l’adoption du nouveau régime forestier en 2010.
Dix ans plus tard, M. Lessard refuse de dire que tout est sombre, mais il s’avoue inquiet pour l’avenir de la foresterie si un processus de révision en profondeur du régime n’est pas entrepris.
«J’en ai écrit des mémoires qui disaient tous plus ou moins la même chose : faites-nous confiance! Confiez-nous des responsabilités pour créer de la richesse en forêt et en partager les bénéfices, plutôt que de nous enfermer dans des petites boîtes où nous pouvons à peine survivre.»
Avancées
Sa nature très modeste fait en sorte qu’il faut le travailler au corps et le questionner sans relâche pour lui faire dire que ses actions ont permis d’aller chercher des gains pour le bénéfice des coopératives et de l’ensemble du secteur forestier.
C’est le cas, par exemple, en ce qui concerne les travaux sylvicoles. Au moment de la refonte du régime, le gouvernement a longtemps jonglé avec l’idée d’octroyer 100 % des contrats par appels d’offres. Les interventions de M. Lessard et d’autres partenaires ont conduit à la création des ententes de réalisation de traitements sylvicoles (ERTS) en vertu desquelles 75 % des contrats sont réservés à des entreprises collectives dont font partie les coopératives forestières.
«Évidemment, il faut se battre pour négocier de bons taux pour les travaux, chaque année, mais on a quand même sauvé la filière et ça, on le doit en bonne partie à Jocelyn», fait valoir CLAUDE DUPUIS, président de la FQCF de 2009 à 2014.
Celui qui, loin de prendre sa retraite, s’apprête à relever un nouveau défi pour SOCODEVI dans un projet agroforestier au Maroc, souligne également les progrès réalisés dans la formation des ouvriers forestiers. Au départ, la Conférence des coopératives forestières avait développé un projet exclusif financé par le Fonds de lutte contre la pauvreté. Par la suite, les groupements forestiers se sont joints, de même que l’Association des entrepreneurs en travaux sylvicoles, alors que le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs et Emploi Québec ont pris le relais. «On a maintenant un levier indispensable pour développer les compétences dans le réseau.»
De même, il suffit d’évoquer le nom de FORAC pour que le directeur sortant de la FQCF s’anime. «Des jeunes brillants qui viennent de partout à travers le monde pour réfléchir sur la façon dont on fait la foresterie ici. En termes d’innovations, l’apport de FORAC est inestimable.» Il cite en exemple, notamment, les tableaux de bord développés pour suivre la production des entrepreneurs forestiers.
Une Fédération crédible
Il refusera de s’en vanter, mais la FQCF a grandement progressé sous sa férule. L’équipe de la permanence compte maintenant dix employés et offre des services très appréciés des membres, que ce soit en ressources humaines, gestion, gouvernance, formation, etc. «Je suis très chanceux d’avoir pu compter sur le soutien d’un personnel dévoué et compétent. Dans bien des cas, ce sont des gens qui ont développé une expertise qui n’existe nulle part ailleurs. Ce sont des artistes», s’enthousiasme encore M. Lessard.
Au fil des ans, la Fédération et les coopératives forestières ont aussi gagné en notoriété et crédibilité. Pour ÉRIC MARTEL, directeur de la gestion des programmes de services aux membres au Conseil québécois de la coopération et de la mutualité (CQCM), cela s’avère vrai non seulement dans le secteur forestier, mais aussi au sein «du mouvement coopératif et l’ensemble de la société québécoise. Pour moi, il n’y a pas de doute qu’on le doit à Jocelyn», déclare-t-il.
Forestier en chef de 2010 à 2015 et acteur bien connu de la foresterie au Québec, GERARD SZARAZabonde dans le même sens. Pour lui, son succès repose sur une approche unique mêlée de franchise et de collaboration. «Jocelyn, c’est quelqu’un qui a une vision très large et qui a toujours su trouver l’équilibre entre les prérogatives de l’industrie, mais aussi les besoins des communautés et une réelle préoccupation environnementale.»
«Nous n’étions pas toujours d’accord, mais ses positions étaient claires et honnêtes», ajoute GUY CHEVRETTE, président du Conseil de l’industrie forestière de 2005 à 2010. «C’est un gars compétent qui défendait avec conviction ses membres des coopératives. À l’époque de la crise forestière, il savait que si on voulait s’en sortir, il fallait que ça se fasse ensemble.»
M. Lessard, lui, juge surtout avoir été très chanceux d’avoir pu bénéficier tout au long de son mandat de l’appui des membres des conseils d’administration et des neuf présidents, des personnes qui ont «toujours su faire passer le réseau en priorité».
Malgré un travail acharné et des réalisations d’importance, on sent toutefois encore chez lui une certaine insatisfaction, comme quoi il aurait voulu en faire encore plus. «Un esprit s’est développé au sein des membres de la Fédération. Les gens se connaissent et s’apprécient. Il serait toutefois possible d’aller tellement plus loin.»
Environnement
Enfin, M. Lessard a fait preuve tout au long de son mandat d’une grande sensibilité face aux enjeux environnementaux. Il s’impatiente d’ailleurs de constater que certains acteurs du secteur voient encore l’environnement comme une contrainte, quelque chose qui empêche de travailler. «La biodiversité et les aires protégées, on ne fait pas ça pour les maringouins, on fait ça pour protéger notre milieu de vie à nous, les humains.»
Cela ne l’empêche pas de dénoncer l’attitude de certains groupes écologistes. «On a développé au Québec un riche réseau d’aires protégées. À la place des félicitations que nous aurions pu espérer, ce qu’on continue d’entendre, c’est tassez-vous on ne veut plus que vous travailliez. Mettez la forêt sous une cloche de verre. C’est décevant! Surtout que la forêt peut jouer un rôle majeur pour lutter contre les gaz à effet de serre.»
Trouver la bonne posture
Malgré son départ imminent, il continue de réfléchir à la question. Et si on trouvait ce qu’il appelle la «bonne posture» face au développement durable? Alors, la question environnementale deviendrait «un outil de persuasion faisant en sorte que davantage de jeunes choisiraient les métiers de la forêt». Un passionné, vous dites?
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